L'heure est à la géologie à Bruxelles. Le niobium, les platines, le tungstène, les terres rares ainsi qu'une dizaine d'autres matières premières préoccupent la Commission européenne, tout comme les industriels et les gouvernements. Après dix-huit mois d'études, Bruxelles va publier, jeudi 17 juin, une liste de 14 métaux ou familles de métaux "critiques", importants pour l'économie de l'Union européenne (UE), et dont l'approvisionnement pourrait subir l'impact de tensions politiques ou de pénuries. Ce document, qui sera révisé régulièrement, doit servir de base à un plan que la Commission a prévu de présenter à l'automne.
Selon Antonio Tajani, commissaire responsable de l'industrie et des entreprises, "trois axes vont guider l'action de l'Europe". Outre le renforcement des accords avec les pays producteurs de ces métaux et le développement du potentiel minier sur le sol européen, la sécurité d'approvisionnement passera aussi par une meilleure maîtrise du recyclage.
"L'accès aux matières premières minérales est le tendon d'Achille de l'approvisionnement de l'Europe et de son industrie", constatait, début juin, Ulrich Grillo, responsable du comité matières premières de la Fédération des industries allemandes (BDI), lors d'un colloque de l'Association franco-allemande pour la science et la technologie (Afast).
Prise de conscience
La préoccupation est à la mesure du rôle central joué par les métaux dans la conception de produits innovants. Le développement des voitures électriques, la fabrication des ampoules LED, l'utilisation accrue de semi-conducteurs... font grimper la demande mondiale en métaux rares. Les besoins en indium, nécessaire à la fabrication d'écrans plats, devraient représenter en 2030 plus de trois fois la production de 2006, selon une étude de l'institut de recherches allemand Fraunhofer reprise par la Commission.
Or l'accès à certains minerais pourrait à l'avenir s'avérer plus difficile, faisant peser sur l'économie européenne un risque réel. Le problème ne naît pas toujours de l'extraction insuffisante d'un métal face à la demande, mais aussi du contrôle de la ressource par un producteur dominant. Les terres rares, cette famille de dix-sept éléments indispensables aussi bien pour la mise au point de véhicules hybrides que de superalliages pour l'aéronautique, en sont un exemple. Au cours des derniers mois, la Chine, qui contrôle 95 % de la production mondiale des terres rares, a commencé à réduire ses exportations, provoquant des tensions chez les industriels occidentaux. La production mondiale de niobium, utilisé pour les aimants supraconducteurs, provient à plus de 80 % du Brésil. De même, l'accès au tantale, indispensable pour les télécoms, peut pâtir de l'instabilité de la République démocratique du Congo.
La liste de quatorze métaux ou familles de métaux mis en avant par la Commission s'inscrit dans un groupe plus large d'une quarantaine d'éléments, sur lesquels Bruxelles garde un oeil attentif. Au gré de nouveaux besoins industriels ou de tensions politiques et économiques, certains d'entre eux pourraient entrer dans la liste "critique". Le lithium pourrait être un des prochains candidats, en fonction du décollage des ventes de véhicules électriques et de l'état des ressources mondiales. De même, Patrick Kim, directeur de l'ingénierie des matériaux de Renault, souligne que "le cuivre doit être suivi avec attention, car il est difficilement substituable et primordial pour des applications électriques toujours plus nombreuses".
Face à ces risques, la Commission s'apprête donc à prendre des initiatives. Tout d'abord, à mener une politique commerciale internationale plus volontariste, afin de ne pas laisser le champ libre aux industriels chinois ou nord-américains, particulièrement en Afrique. "Il faut que nous trouvions une complémentarité entre notre stratégie de développement et notre politique de matières premières", commente-t-on dans l'entourage du commissaire Tajani.
Levier du recyclage
Le 8 juin, la Commission a, par exemple, rencontré la Commission de l'Union africaine afin, notamment, d'esquisser un partenariat autour des matières premières. Cela se traduirait par des investissements européens sur les infrastructures, notamment autour des bassins miniers, et par un travail commun d'évaluation des ressources géologiques africaines. L'action commerciale passe aussi par des recours devant l'Organisation mondiale du commerce, comme c'est le cas actuellement dans le différend sur les métaux rares qui oppose l'Union européenne et les Etats-Unis à la Chine.
La Commission veut aussi faciliter l'exploitation des ressources minérales européennes. Notamment, explique M. Tajani, en évitant une application trop stricte de la directive sur les zones protégées, Natura 2000. Une proposition qui ne va pas manquer de déplaire aux associations écologistes. Le troisième levier que compte employer Bruxelles est celui du recyclage et de la substitution des métaux les plus critiques. Il est question pour cela d'adopter de nouvelles réglementations et d'augmenter les aides à la recherche.
La mise en oeuvre du plan de la Commission n'en est qu'à ses premiers pas, mais elle marque une prise de conscience politique importante.
Bertrand d'Armagnac
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