samedi 12 juin 2010

L'Ethiopie parie sur l'énergie hydroélectrique


Des personnes font la queue pour recevoir de l'eau, à 75 kilomètres de la ville de Gode, en Ethiopie.

L'objectif du gouvernement éthiopien ne manque pas d'ambition : transformer en quelques années ce pays pauvre en puissance hydroélectrique régionale, exportatrice d'énergie, alors qu'il est actuellement l'un de ceux où l'accès de la population à l'électricité est parmi les plus bas du monde.

Pour ce faire, le premier ministre, Meles Zenawi, partisan du développement de son pays à marche forcée, n'a pas à redouter d'opposition intérieure qui viendrait à reprendre les campagnes de plusieurs organisations non gouvernementales étrangères doutant de la fiabilité des études officielles d'impact sur les écosystèmes. Meles Zenawi et son parti (l'EPRDF) règnent sans partage sur le pays.

La construction du barrage Gibe III dans la vallée de l'Omo, à 350 kilomètres au sud d'Addis Abeba, concentre ainsi les espoirs éthiopiens et les critiques des ONG. Depuis le début des travaux en 2006, un ballet de camions et d'excavatrices creuse la montagne. D'ici à 2012 s'élèvera sur ce site un barrage de 240 mètres de haut, le plus grand d'Afrique. Il alimentera une centrale hydroélectrique de 1 800 mégawatts, soit le double de la consommation totale d'électricité en Ethiopie en 2009.

Ce projet, le plus ambitieux jamais entrepris dans le pays, a provoqué une levée de boucliers de la part de groupes de défense de l'environnement. En janvier, une coalition d'ONG, comprenant notamment International Rivers et Survival International, a lancé une pétition pour demander l'arrêt des travaux. "Le barrage, s'il n'est pas arrêté, va provoquer insécurité alimentaire, faim chronique, dépendance à l'aide alimentaire, conflits parmi les populations locales pour le contrôle des, déjà, maigres ressources naturelles", affirment les pétitionnaires.

Selon eux, Gibe III et son lac de retenue long de quelque 150 kilomètres abaisseront de 10 mètres le niveau des eaux du lac Turkana. A cheval sur l'Ethiopie et le Kenya, il est alimenté à 80 % par les eaux de l'Omo. Cela menacerait la survie de plusieurs centaines de milliers de personnes dans les deux pays, affirment les ONG.

Le calcul des autorités éthiopiennes est tout autre. Depuis plusieurs années, le gouvernement éthiopien issu de l'ancienne guérilla marxiste tigréenne applique une politique active et très planifiée de développement des infrastructures. Une marche forcée qui ne s'embarrasse guère du sort des populations vivant initialement sur le tracé des chantiers. Mais pas un mois ne s'écoule sans une inauguration de route, d'université, d'école ou de dispensaire. Trois barrages ont été inaugurés au cours des deux dernières années. "La plupart de ces réalisations sont financées par des prêts ou des aides internationales, mais l'Ethiopie est l'un des rares pays d'Afrique où les projets sont menés à bien, où la corruption n'engloutit pas l'argent prévu", remarque un diplomate occidental.

Pour cette raison, Addis Abeba est choyé par les institutions financières internationales. Et lorsque celles-ci se font tirer l'oreille, le premier ministre sait fort bien jouer de la concurrence. Ce fut le cas pour Gibe III. Sollicitée, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement avaient réservé leur réponse, estimant que le pays doit diversifier ses investissements, surveiller le niveau de son endettement, mieux évaluer l'impact écologique et humain.

Qu'à cela ne tienne. L'Ethiopie a sollicité la Chine. Le 19 mai, le chef exécutif de la compagnie éthiopienne d'électricité (EEPCo), Mihret Debebe, et le président de la Dongfang Electric Corporation, Luo Zhigang, ont signé un protocole d'accord de 459 millions de dollars destinés à Gibe III.

Le coût total du barrage est estimé à 1,5 milliard d'euros (pour un produit intérieur brut (PIB) de 21 milliards d'euros en 2009), mais l'Ethiopie a décidé d'avancer les travaux avant même d'avoir bouclé le financement total de l'opération. Selon Mihret Debebe, la Banque industrielle et commerciale de Chine se serait engagée à couvrir 85 % du coût total. Et les Chinois de Sinohydro étudient déjà la construction d'un Gibe IV, toujours sur l'Omo.

Car l'Ethiopie croit en ses réserves hydrauliques comme d'autres parient sur le pétrole. "Le potentiel hydroélectrique de l'Ethiopie est énorme", affirme Debay Tadesse, chercheur à l'Institute for Security Studies (ISS) à Addis Abeba. Le gouvernement ambitionne ainsi de multiplier par neuf ses capacités de production en quelques années, passant de 1 000 à 9 000 mégawatts.

"L'Ethiopie pourrait fournir de l'électricité à une grande partie du continent", ajoute le chercheur de l'ISS. Un continent qui part de très, très loin. Selon une étude récente de la Banque mondiale, les 48 pays d'Afrique subsaharienne (800 millions d'habitants) produisent ensemble autant d'électricité que l'Espagne (45 millions d'habitants).

Ainsi, en Ethiopie, qui aime à se définir comme le "château d'eau d'Afrique de l'Est", seulement 2 % de la population rurale (80 % des 80 millions d'habitants) a accès à l'électricité. "Il est inconcevable de développer le pays sans énergie électrique. Comment faire fonctionner écoles, hôpitaux, PME, systèmes d'irrigation sans électricité ?", demande Debay Tadesse.

Au-delà du raccordement des foyers éthiopiens au réseau électrique - ce qui pose la question du développement du réseau de distribution -, l'objectif est surtout d'exporter de l'énergie et d'encaisser des devises. Ce sera prochainement le cas avec le barrage du lac Tana - où le Nil bleu prend sa source - construit par la société italienne Salini et inauguré en mai. Un contrat d'exportation vers le Soudan voisin devrait rapporter 150 000 dollars par jour à l'Ethiopie. D'autres contrats ont été signés avec le Kenya et Djibouti.

Christophe Châtelot

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