Quand le biologiste américain d'origine autrichienne Kark Landsteiner a déterminé, en 1909, les groupes sanguins, il n'imaginait certainement pas que, un siècle plus tard, des Japonais décideraient d'un mariage ou d'une rupture, d'une embauche ou d'un licenciement, voire d'une amitié, en fonction de cette classification en A, B, AB et O.
Tentés par les catégorisations faciles dans une société plutôt homogène, beaucoup vivent dans l'idée que chaque groupe sanguin - ketsueki-gata, en japonais - détermine des comportements. Un sang de type A donnerait une personnalité sérieuse, prudente et sensible. Le type B favoriserait l'individualisme et la créativité, le AB la réflexion rationnelle et la sociabilité. Quant au type O, il serait du genre à donner de l'ambition et conférer une certaine suffisance.
A l'origine de ces croyances, des études réalisées dans les années 1920 et 1930, le summum étant atteint avec les articles aux relents eugénistes rédigés en 1927 par le scientifique Takeji Furukawa sur le thème : "Etude des tempéraments selon les groupes sanguins." Le chercheur tentait notamment d'expliquer la prétendue docilité du peuple aïnou (de l'île d'Hokkaido, dans le nord de l'Archipel) et l'esprit supposé rebelle des habitants de Formose (aujourd'hui Taïwan). Ses écrits ont même convaincu des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères qu'un bon diplomate devait avoir un sang de type O.
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Oubliée après la guerre, la question du ketsueki-gata devait resurgir et se populariser, dans les années 1970, avec la publication, en 1971, de Comprendre les affinités selon le groupe sanguin, ouvrage de l'avocat Masahiko Nomi, inspiré des travaux de Takeji Furukawa.
Depuis, et malgré les critiques de la communauté scientifique, qui conteste l'idée d'un lien entre groupe sanguin et comportement, la classification occupe une place aussi importante que les traditionnels horoscopes à la télévision ou dans les magazines féminins. "La question revenait souvent dans les discussions avec les amies de l'université, se souvient une jeune femme. Certaines prenaient cela comme un jeu, d'autres y croyaient et y croient encore très fort."
De fait, il n'est pas rare de se voir demander à quel groupe sanguin l'on appartient. Le phénomène a déjà poussé des écoles maternelles à répartir les enfants selon leur groupe sanguin. Des entreprises ont utilisé cette classification pour leur recrutement. Il y a même un mot, bura-hara, pour qualifier le harcèlement lié aux groupes sanguins. Et, sans surprise, il y a des agences matrimoniales qui les utilisent pour établir des affinités.
La tendance semble installée. Les ouvrages sur le sujet se vendent toujours bien et même les personnages des jeux vidéo les plus populaires, comme Final Fantasy, ont désormais des caractères définis par leur groupe sanguin.
Philippe Mesmer (à Tokyo)
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