
Le bâtiment de la Banque d'Indonésie à Djakarta en février 2010.
Ici, tout le monde vous le souffle à l'oreille, comme un secret : l'Indonésie, c'est "le" pays qui monte, celui où l'on "se doit d'être". Une chose est sûre : l'Indonésie est méconnue en Europe, surtout en France. D'elle, on ne connaît que des catastrophes en série : attentats terroristes, tsunamis, tremblements de terre...
Pourtant, cet immense pays de 237 millions d'habitants, qui regorge de matières premières, est membre du G20. Et bien qu'il soit le troisième émetteur de gaz à effet de serre de la planète - en raison de la déforestation massive, pratiquée pour développer les plantations de palmiers à huile -, il est devenu pionnier en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Surtout, contrairement à ses voisins - Malaisie, Singapour et Thaïlande -, l'Indonésie est restée en croissance (+ 4,5 %) en 2009, malgré la crise. Qui l'eût cru ? Il y a un peu plus de dix ans, la crise asiatique provoquait à Djakarta une chute de 12 % du produit intérieur brut (PIB). Depuis, l'Indonésie s'est fait oublier, et la voilà qui réapparaît, métamorphosée, faisant figure d'exemple.
"Nous avons su tirer la leçon de 1998. Cette fois-ci, nos fondamentaux sont sains. Pour surmonter la crise de 2008, nous avons misé sur la consommation intérieure. La confiance a prévalu. Nos exportations ont un peu chuté, mais elles ne contribuent qu'à hauteur de 25 % à notre PIB, aussi notre vulnérabilité est limitée", souligne Sri Mulyani Indrawati, la ministre des finances, figure vedette du gouvernement en raison de sa personnalité et de son engagement contre la corruption.
"Nous avons su tirer la leçon de 1998. Cette fois-ci, nos fondamentaux sont sains. Pour surmonter la crise de 2008, nous avons misé sur la consommation intérieure. La confiance a prévalu. Nos exportations ont un peu chuté, mais elles ne contribuent qu'à hauteur de 25 % à notre PIB, aussi notre vulnérabilité est limitée", souligne Sri Mulyani Indrawati, la ministre des finances, figure vedette du gouvernement en raison de sa personnalité et de son engagement contre la corruption.
Non seulement le pays a bien traversé la crise mondiale, mais il sort de l'épreuve renforcé. Avec un endettement public limité (31 % du PIB contre 120 % en 1998), il se voit attribuer la meilleure notation depuis onze ans par l'agence Fitch (BB +). "Encore un cran, et nous serons bons pour "l'investment grade !"(c'est-à-dire correspondant à un niveau de risque faible) ", se réjouit Darmin Nasution, le gouverneur par intérim de la Banque d'Indonésie.
"Le redressement accompli en dix ans est spectaculaire. Il n'est pas seulement économique mais politique : la démocratie a été instaurée et la presse est libre comme nulle part ailleurs dans la région", souligne pour sa part Joël Daligault, directeur de l'Agence française de développement (AFD).
Si le son du muezzin ne venait pas, plusieurs fois par jour, se mêler au vacarme des embouteillages, on oublierait presque que l'Indonésie est le premier pays musulman du monde. Avec ses gratte-ciel futuristes, sa débauche d'enseignes lumineuses et ses centres commerciaux gigantesques, le centre-ville rendrait presque désuets Manhattan ou Chicago.
Réussite et inégalités
Le week-end, les Indonésiens déambulent, en famille, dans ces énormes malls. En foulard et en jeans, visages découverts, les femmes y sont omniprésentes. On se promène mais on dépense aussi. La classe moyenne représente un quart de la population.
Au Plaza Indonesia, les familles se font photographier devant un Barak Obama grandeur nature, assis dans un becak (taxi tricycle), faisant le V de la victoire. Personne n'ignore que le président des Etats-Unis a passé ici une partie de son enfance. Et on attend sa visite avec impatience, en juin.
Malgré la réussite économique, les inégalités demeurent. A quelques kilomètres au nord du quartier des affaires, Djakarta offre le visage d'une cité du tiers-monde. Ici, dans le quartier de Koja, bidonville en dur, proche du port, une femme dans la misère a encore tenté de vendre son bébé l'année dernière. Les eaux usées s'écoulent à l'air libre et les enfants marchent pieds nus, au milieu de nuées de mouches.
Environ 18 % des Indonésiens vivent dans la pauvreté absolue, avec moins de 1 dollar par jour. L'île de Java, où se concentrent les deux tiers de la population, est la moins mal lotie. Seulement 60 % de la population indonésienne est raccordée à l'électricité. A Koja, les habitants tirent des fils électriques pour s'approvisionner, provoquant souvent des courts-circuits et des incendies meurtriers. Ils n'ont pas l'eau courante et sont à la merci des intempéries. "S'il pleut plus de deux heures de suite, ma maison est inondée. Il m'arrive d'en avoir jusqu'aux genoux", explique Rospita, 27 ans.
L'urgence, ce sont les infrastructures. Leur déficience freine les investissements. Tout est à faire : routes, autoroutes, ports, chemins de fer, électricité... "Si le pays n'était pas aussi en retard dans ce domaine, il connaîtrait un taux de croissance de 9 %", assure Alain-Pierre Mignon, le président de la chambre de commerce franco-indonésienne.
Il tempête contre la France, "qui va rater le coche, une fois encore". "Les investisseurs français ont tendance à aller plutôt au Vietnam ou en Thaïlande. Il serait dommage de passer à côté d'un pays de la taille et du poids de l'Indonésie", souligne de son côté le chef de la mission économique à l'ambassade de France, Michel Drobniak. La France, c'est vrai, n'est que modestement présente. Si de grands groupes - Total, Danone, L'Oréal ou Carrefour - sont là, les sociétés françaises ne sont qu'une centaine à s'être implantées en Indonésie (contre 450 à Singapour et plus de 300 en Thaïlande). Toutefois, l'arrivée mi-2007 de l'AFD, avec des financements de 700 millions de dollars (512 millions d'euros) axés sur la lutte contre le réchauffement climatique, a permis de relancer la coopération bilatérale.
Mais aucun ministre n'a fait le déplacement de Djakarta depuis la chute du président Suharto, il y a douze ans, et l'avènement de la démocratie. Nicolas Sarkozy a promis de s'y rendre en 2010. Tiendra-t-il parole ? Les responsables indonésiens l'ont pris au mot. "Nous l'attendons", disent-ils.
Florence Beaugé
Le Monde
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