
La Chine a grand besoin de matières premières pour se développer. Elle les trouve en Afrique, et notamment au Congo. Par tous les moyens.
On m'avait dit : « Il faut aller au Congo, c'est plein de Chinois. » Mais même au Katanga, la riche province minière du sud du pays, dont les collines pelées recèlent des millions de tonnes de cuivre, de cobalt, d'uranium et de bien d'autres métaux rares convoités par Pékin, les Chinois sont quasi invisibles. Bien vus des dirigeants, auxquels ils promettent monts et merveilles, ils ne sont guère appréciés de l'homme de la rue.
De taille moyenne, mince, âgé de 45 ans et en paraissant dix de moins, M. Lee ne se sent pas très à l'aise dans ce pays de l'Afrique centrale qu'est la République démocratique du Congo (RDC). Il est arrivé au printemps au Katanga, pour un an, et ce n'est manifestement pas un choix délibéré. Il a appris le français à Hongkong et est chargé des relations entre son entreprise-une société minière-et l'administration congolaise. Malgré sa courtoisie extrême, M. Lee s'arrache les cheveux. « Ici, c'est difficile. Les problèmes avec l'administration sont infinis, il y a beaucoup de lois et de décrets, et ils changent souvent. On ne peut pas dormir sur son argent », dit-il joliment.
« Sur les 60 sociétés minières de Likasi, 55 sont chinoises. » La cinquantaine chaleureuse, Sicilien de naissance et Lorrain de coeur, François Cascini, président du syndicat des entrepreneurs miniers de la ville, conduit son pick-up qui bringuebale d'un nid-de-poule à l'autre. A 120 kilomètres de Lubumbashi, dans ce sud du Congo qui regarde vers l'Afrique australe et ignore Kinshasa, Likasi est une ville à l'abandon. Pas un bâtiment ne semble avoir été construit depuis l'indépendance, en 1960. Les maisons sortent tout droit d'un vieux film. Seul reste du charme d'antan de vastes avenues... Et un golf 18 trous qu'entretiennent jalousement dix expatriés.
C'est dans ce décor de vieux western que sont arrivés, à partir de 2002, les premiers Chinois. Il y a d'abord eu ceux que les Congolais appellent les « sacs à dos ». Sans gros moyens, ils venaient d'Afrique du Sud ou de Zambie, où ils trafiquaient déjà dans le secteur minier. D'autres sont arrivés directement de Chine, expédiés par des entreprises privées dont le patron, membre du Parti, bénéficie du soutien financier des autorités. Intéressés par le cobalt, ils se sont associés avec des Congolais pour obtenir des permis d'exportation du minerai vers la Chine via l'Afrique du Sud ou la Tanzanie. Depuis, l'empire du Milieu, qui n'extrait pas un gramme de cobalt de son sous-sol, en est un producteur officiel dans ses comptes.
Derniers arrivés : les Chinois envoyés par de grosses sociétés d'Etat. C'est ainsi que s'installe à Likasi, en 2003, Feza Mining, une des rares entreprises chinoises de bonne réputation. Une exception dans ce milieu qui préfère le théâtre d'ombres-et les facilités-de l'informel. « J'ai un cabinet pour aider les entrepreneurs à travailler dans les règles. J'ai eu deux clients chinois, l'un en 2005, l'autre en 2007, c'était assez inhabituel », confirme Eric Monga, juriste.
A la sortie de Likasi, la route de Kakontwe mène à Kolwezi, la ville du cuivre, siège des deux révoltes du Shaba dans les années 70. La piste est baptisée « route de Pékin ». C'est là que, depuis un an, les Chinois de Likasi ont installé des fours pour transformer le minerai de cuivre ou de cobalt et l'exporter sous forme de lingots. Une exigence des autorités, surtout du nouveau gouverneur de la province, le très populaire Moïse Katumbi. « Les Chinois exportent dans les règles, mais, auparavant, ils ont payé des fonctionnaires pour avoir des dérogations d'exportation du minerai », précise François Cascini. Ils ne sont pas les seuls.
En octobre, le gouverneur a visité toutes les fonderies et en a fait fermer trois : des ouvriers congolais, en loques, y étaient payés au lance-pierre. En général, les Chinois forment l'encadrement, sauf dans la construction. « Nous faisons venir des ouvriers, car ils ont du savoir-faire, de la ponctualité et travaillent beaucoup », explique M. Lee. A Likasi, ces dernières années, des entrepreneurs chinois auraient fait travailler des prisonniers qui rentraient en Chine au bout d'un an, peine purgée. Rien d'étonnant que les entreprises chinoises remportent les appels d'offres sur leurs rivales occidentales, toujours 30 % plus chères !
En cinq ans, 140 Chinois se sont installés à Likasi. Ils forment la première communauté étrangère d'une ville qui ne compte que 7 ou 8 Français. Combien sont-ils dans tout le Katanga ? Deux ou trois milliers, peut-être. « Nous ne sommes pas comme les Français, nous n'avons pas de consulat », regrette M. Lee.
« Ces Chinois ne sont qu'une avant-garde », estime François Cascini. Congolais et Occidentaux s'inquiètent de la « déferlante » chinoise qui pourrait accompagner la mise en oeuvre des conventions signées en septembre entre Kinshasa et Pékin. La Chine a proposé au président Joseph Kabila d'investir 8,5 milliards de dollars (réfection des mines, construction d'hôpitaux, de 3 000 kilomètres d'autoroutes...) en contrepartie de la fourniture de minerais par le Congo. Le projet, non finalisé, suscite bien des inquiétudes.
« Ces Chinois ne sont qu'une avant-garde », estime François Cascini. Congolais et Occidentaux s'inquiètent de la « déferlante » chinoise qui pourrait accompagner la mise en oeuvre des conventions signées en septembre entre Kinshasa et Pékin. La Chine a proposé au président Joseph Kabila d'investir 8,5 milliards de dollars (réfection des mines, construction d'hôpitaux, de 3 000 kilomètres d'autoroutes...) en contrepartie de la fourniture de minerais par le Congo. Le projet, non finalisé, suscite bien des inquiétudes.
Chez les Occidentaux, d'abord. Ils affirment que ce type d'accord ne peut que contrecarrer leur politique, qui vise à inciter le Congo à la bonne gouvernance. Ils craignent surtout l'installation massive de la troisième puissance du monde dans un pays qui peut lui assurer des matières premières pour son développement économique pendant un siècle ou deux. Début novembre, Joseph Kabila est allé à Washington. George Bush lui a fait part de ses craintes. « J'en prends note », a répondu le chef de l'Etat congolais. « Que m'offrez-vous en échange ? » a-t-il demandé au président américain. Il n'a pas eu de réponse.
Du côté chinois, rien n'est simple non plus. Manifestement, les Congolais ne répondent pas à leurs souhaits. Lancée dans une course effrénée aux matières premières qui l'a fait s'installer en Afrique depuis dix ans, la Chine arrive trop tard au Congo. « Tous les bons gisements de cuivre et de cobalt du Katanga ont déjà été attribués aux grandes sociétés occidentales et aux Congolais », affirme François Cascini. Sans avoir recommencé l'exploitation des gisements (attendus pour 2009/2010), les majors du secteur minier sont revenues au Katanga. Il ne reste plus que des mines moins riches en minerai. Les Chinois sont mécontents. Ils l'ont fait savoir au PDG de la Gécamines, le Canadien Paul Fortin, qu'ils ont reçu, fin novembre, à Pékin. Les négociations ont été difficiles. Les Congolais vont-ils « revisiter » les contrats antérieurs (c'est l'expression utilisée au Congo) en excipant de certaines irrégularités ? Ce serait le moyen de libérer des gisements pour les Chinois, craignent les sociétés anglo-saxonnes.
Faute de gisements, Pékin pourrait aussi obtenir la majorité dans la Gécamines (on parle de 68 %), devenant ainsi un partenaire de toutes les grandes sociétés occidentales qui sont obligatoirement en joint-venture avec l'ancienne entreprise d'Etat congolaise, seule propriétaire du sous-sol. Au Congo, la chasse au minerai de cuivre et de cobalt ne fait que commencer. La France en est absente.
Mireille Duteil
Le Point
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